Pour rappel, le titulaire du droit de préemption dispose d’un délai de 2 mois pour exercer ce droit (art. R.213-7 c. urbanisme). Toutefois, ce délai est suspendu en cas de demande de visite et/ou de demande unique en vue d’obtenir la communication de documents.
Le régime de ce délai étendu donne lieu à une abondante jurisprudence, dont témoignent nos chroniques.
On le sait, en cas de demande de visite, le délai est suspendu à compter de la réception de la demande de visite du bien, et reprend à compter du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption (article L.213-2 et D.213-13-1 du code de l’urbanisme). Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d’un mois pour prendre sa décision. Le silence du propriétaire pendant 8 jours à compter de la réception de la demande vaut refus de visite (article R.213-13-3 du code de l’urbanisme).
En cas de demande unique de pièces, le délai est alors suspendu à compter de la réception par le propriétaire de cette demande unique et reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption. Ici encore, si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d’un mois pour prendre sa décision.
Le titulaire du droit de préemption a également la possibilité de formuler simultanément ou successivement une demande de visite et une demande de pièces. Dans cette hypothèse, il a été jugé que le délai de préemption ne pouvait être suspendu qu’une seule fois (CAA Versailles, 26 décembre 2023, n°22VE00861).
Il reprend à compter de la date d’accomplissement de la plus tardive des deux formalités (CE, 29 mai 2024, n°489337).
Par sa décision du 17 octobre 2024 (n°489707), le Conseil d’Etat apporte des précisions intéressantes sur le régime de l’envoi de pièces de manière dématérialisée, via un lien de téléchargement, notamment s’agissant de la gestion des délais pour exercer le droit de préemption.
Si la décision commentée ne fait ici que reprendre la jurisprudence précitée, elle offre toutefois une précision utile sur la date de reprise du délai en cas d’envoi de pièces via un lien de téléchargement.
En l’espèce, une déclaration d’intention d’aliéner avait été reçue en mairie le 27 février 2023. La commune, alors titulaire du droit de préemption, avait adressé au propriétaire une demande de pièces complémentaires et une demande de visite du bien, notifiées le 27 avril 2023.
Par un courriel du 2 mai 2023, le notaire avait adressé un lien de téléchargement permettant à la commune d’accéder aux pièces sollicitées. Aucune réponse n’avait été apportée s’agissant de la demande de visite.
La décision de préemption était intervenue le 23 juin 2023.
Les requérants, dans le cadre d’un référé suspension, invoquaient notamment la tardivité de la décision de préemption, considérant que, dès lors que les pièces avaient été adressées par courriel le 2 mai et qu’un refus tacite de visite était intervenu le 5 mai 2023, soit 8 jours après la demande de visite, le titulaire ne pouvait exercer son droit de préemption que dans un délai d’un mois, soit jusqu’au 5 juin 2023.
A l’inverse, l’établissement public foncier d’Ile-De-France, délégataire du droit de préemption, soutenait que les pièces complémentaires n’avaient été réceptionnées que le 25 mai 2023. En effet, le notaire avait de nouveau adressé les pièces sollicitées par courriel du 25 mai 2023 puisque la commune n’avait pas téléchargé à temps les pièces adressées par courriel du 2 mai 2023.
Le juge des référés du Tribunal administratif de VERSAILLES ne s’était même pas prononcé sur ce sujet – malgré nos conclusions en ce sens – se contentant de préciser qu’en l’état de l’instruction, aucun des moyens soulevés n’était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption (TA VERSAILLES, Ordonnance du 14 novembre 2023, n°2308498).
Les requérants avaient donc demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette ordonnance et de faire droit à leur demande de suspension. Ce dernier leur a donné raison, estimant que le délai pour exercer le droit de préemption avait bien repris le 5 mai 2023 – et non le 25 mai – et que partant, la tardivité de la décision de préemption était bien de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption (CE, 17 octobre 2024, n°489707).
Il en résulte que l’envoi de pièces via un lien de téléchargement suffit à regarder les pièces comme bien réceptionnées par la mairie.
Il en irait toutefois différemment dans l’hypothèse où le titulaire contesterait la réception du courriel et si le vendeur n’était pas en mesure de démontrer sa bonne réception, le Conseil d’Etat ayant souligné ici que la commune ne contestait pas la réception du premier mail.
Il est donc recommandé pour le vendeur de privilégier la transmission des pièces (mais également d’une réponse à une demande de visite) par un courrier recommandé pour éviter tout débat.
Quant au titulaire du droit de préemption, il doit demeurer vigilant sur les dates de réception de ses demandes afin d’éviter le risque de tardiveté de sa décision de préemption.
CE, 17 octobre 2024, n°489707
CA et SLG