L’on sait qu’en matière de marchés publics, l’article L. 2152-2 du code de la commande publique, codifiant une jurisprudence antérieure (CE, 11 décembre 2013, Société antillaise de sécurité, n°372214), prévoit qu’une offre est considérée comme irrégulière dans l’hypothèse où elle méconnaît la législation.
Il n’en est pas de même en matière de concession puisque l’article L. 3124-3 du code de la commande publique se limite à préciser qu’une offre est considérée comme irrégulière lorsqu’elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation.
Se pose donc la question de savoir si la méconnaissance de la législation applicable est susceptible d’emporter l’irrégularité d’une offre dans le cas d’une concession.
La réponse à cette question est importante puisqu’elle conditionne la possibilité, pour un concurrent évincé, de contester la validité d’un contrat.
En effet, dans le prolongement de la célèbre jurisprudence « Tarn-et-Garonne », un concurrent évincé ne peut « à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ; » (CE Sect., 5 février 2016, n°383149). En conséquence, un candidat dont l’offre est irrégulière « ne saurait […] soulever un moyen critiquant l’appréciation des autres offre » (CE, 9 novembre 2018, n°420654).
C’est la question de l’irrégularité d’une offre à un contrat de concession en raison de la méconnaissance de la législation applicable et plus précisément ici de la convention collective applicable, que le Conseil d’État a été conduit à trancher dans sa décision du 10 octobre 2022 (CE, 10 octobre 2022, n°455691).
En l’espèce, un contrat de délégation de service public avait été conclu entre une communauté de communes et un exploitant de piscines pour la gestion d’un centre aquatique comprenant notamment un bassin de nage, une fausse de plongée et un espace de détente.
Le candidat évincé avait saisi le Tribunal administratif de CAEN puis la Cour administrative d’appel de NANTES pour faire annuler ce contrat de délégation de service public.
L’irrégularité de l’offre de la société requérante avait été soulevée en défense.
La juridiction d’appel avait rejeté la requête, considérant qu’elle n’était pas susceptible d’avoir été lésée, dès lors que la convention collective applicable en l’espèce était bien celle du sport (et non celle des espaces de loisirs, d’attractions et culturels retenue dans l’offre) et que partant, la méconnaissance de cette convention collective emportait irrégularité de l’offre.
Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État était pour la première fois conduit à se prononcer sur la question de l’irrégularité d’une offre en cas de non-respect de la législation applicable et en particulier d’une convention collective en matière de concession, alors que la cour administrative d’appel de Douai avait jugé, en contradiction avec la position de la Cour administrative d’appel de Nantes, que l’offre d’un candidat ne devait pas être considérée comme irrégulière au motif que le candidat aurait indiqué vouloir appliquer une convention collective inapplicable (CAA Douai, 28 mars 2019, n° 16DA02438).
Par sa décision du 10 octobre 2022, le Conseil d’Etat a confirmé la position retenue par la cour administrative d’appel, tant sur la convention collective applicable que sur l’irrégularité de l’offre.
Sur la convention applicable, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt d’appel en jugeant que c’est bien la convention collective du sport qui a vocation à s’appliquer puisque l’objet principal de l’activité confiée au délégataire de service public était la gestion de deux bassins et d’une fosse de plongée à vocation principalement sportive, et ce, même si le centre aquatique comporte également des espaces ludiques et de détente.
Surtout, le Conseil d’Etat retient pour la première fois en matière de concession qu’une « offre finale mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable ne saurait être retenue par l’autorité concédante et doit être écartée comme irrégulière par celle-ci ».
Le rapporteur public avait pourtant proposé une solution inverse, se fondant notamment ce qui distingue précisément une concession d’un marché public. Il soutenait ainsi qu’il pouvait être opportun de laisser au concessionnaire et à l’autorité concédante une plus grande liberté de choix dans la détermination des critères que les candidats doivent respecter et que le transfert de risque de l’exploitation de l’autorité concédante vers le concessionnaire justifiait qu’il revienne à ce dernier de s’assurer du respect de la législation en matière de droit du travail.
Ce n’est pas la solution qui a été retenue par le Conseil d’Etat dans sa décision du 10 octobre 2022 qui opère ainsi un rapprochement entre ces deux types de contrats administratifs en matière de contentieux.
CA et SLG, le 23/03/2023