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Affichage et délai de recours des tiers contre une autorisation d’urbanisme en période d’état d’urgence sanitaire

Sources :

Date de mise à jour : le 23 avril 2020

Sommaire :

I. Rappel du droit commun : le délai de recours des tiers contre une autorisation d’urbanisme
II. Adaptations des délais de recours dans le contexte d’état d’urgence sanitaire
III. Incertitudes liées à l’adaptation des délais de recours des tiers

Face à la pandémie de Covid-19, plusieurs mesures exceptionnelles ont été mises en place, notamment en matière de délais de recours, par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette période.

Toutefois, les inquiétudes des professionnels de l’immobilier et de la construction ont incité le gouvernement à raccourcir les périodes de suspension et de reports des délais de recours en droit de l’urbanisme par une ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Ces nouvelles dispositions ne sont toutefois pas sans poser des difficultés d’interprétation, s’agissant spécifiquement du délai de recours des tiers contre une autorisation d’urbanisme.

I. Rappel du droit commun : le délai de recours des tiers contre une autorisation d’urbanisme

On le sait, le délai de recours des tiers contre une autorisation d’urbanisme ne commence à courir qu’à compter de la date de son affichage sur le terrain, conformément à l’article R.600-2 du code de l’urbanisme :

« Le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 ».

L’affichage de l’autorisation d’urbanisme n’est donc régulier et par conséquent de nature à faire courir le délai de recours des tiers que s’’il répond aux conditions fixées par les dispositions réglementaires du code de l’urbanisme (art. R.424-15 et A. 424-15 et s.).

D’une part, l’affichage doit être « visible de l’extérieur » (art. R.424-15) afin d’en informer les tiers. L’article A. 424-18 du code de l’urbanisme précise ainsi :

« Le panneau d’affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu’il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier »

Le Conseil d’Etat a, par exemple, jugé dans une décision en date du 11 juillet 2013 (n°362977) que l’affichage d’un permis de construire sur une voie privée non ouverte à la circulation publique était irrégulier et n’était donc pas de nature à faire courir le délai de recours à l’égard des tiers :

« 5. Considérant que le juge des référés a jugé qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment des photographies, du plan et des témoignages de riverains produits par les demandeurs, d’une part, que les panneaux d’affichage du permis de construire avaient été placés, du 20 octobre au 20 décembre 2011, non sur le terrain d’assiette du projet de construction mais à une distance de près de deux cents mètres, sur une voie privée non ouverte à la circulation publique et, d’autre part, qu’ils n’étaient lisibles ni d’une voie publique ni d’un espace ouvert au public ; qu’il en a déduit que cet affichage était irrégulier au regard des dispositions des articles R. 424-15 et A. 424-18 du code de l’urbanisme et qu’en conséquence la requête aux fins d’annulation présentée par M. F…et Mme D…n’était pas tardive ; »

D’autre part, le panneau d’affichage doit contenir un certain nombre d’informations (art. R.424-16) et la mention visée à l’article A. 424-17 ainsi formulée :

« Droit de recours :

Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code de l’urbanisme).

Tout recours administratif ou tout recours contentieux doit, à peine d’irrecevabilité, être notifié à l’auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable. Cette notification doit être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du recours (art. R. 600-1 du code de l’urbanisme). »

Ainsi, selon le droit commun, seul un affichage sans interruption pendant 2 mois et conforme aux exigences rappelées ci-dessous permet de déclencher et ainsi de purger le délai de recours des tiers – la charge de la preuve de l’accomplissement de ces formalités pesant sur le pétitionnaire.

Toutefois, pour faire face au contexte très particulier lié au virus COVID-19, des mesures exceptionnelles ont adapté les délais de recours, mais on le verra sans se préoccuper des autres conditions de déclenchement des délais de recours des tiers.

II. Adaptations des délais de recours dans le contexte d’état d’urgence sanitaire

Dans un premier temps, faute de dispositions spécifiques en matière d’urbanisme, il convenait de se référer à l’article 2 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 laquelle s’appliquait, de manière très large, à l’ensemble des recours, y compris ceux introduits devant les juridictions administratives (art. 15 de l’ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions administratives).

Selon cet article 2 :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

Pour rappel, la période mentionnée à l’article 1 s’étend « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». Or, en application de l’article 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour face à l’épidémie de covid-19, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour une durée de 2 mois à compter son entrée en vigueur le 24 mars 2020. La période visée par l’article 1 s’étend donc du 12 mars au 24 juin 2020.

Ainsi, conformément à l’article 2 précité, les actions contentieuses enfermées dans un délai expirant entre le 12 mars et le 24 juin 2020 pouvaient être introduites dans le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois à compter du 24 juin 2020. Le terme du délai concerné était décompté à compter du 24 juin 2020 et expirait au plus tard le 25 août 2020 (délai franc).

Ces règles étaient donc applicables aux délais de recours contre les autorisations d’urbanisme jusqu’à l’intervention de l’ordonnance du 15 avril 2020.

Désormais, l’article 12 bis de l’ordonnance n°2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période organise la suspension ou le report des délais de recours contre les autorisations d’urbanisme :

« Les délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus. Ils recommencent à courir à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée pour la durée restant à courir le 12 mars 2020, sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’urgence sanitaire est reporté à l’achèvement de celle-ci »

Il en résulte que deux hypothèses doivent être distinguées.

Hypothèse 1 : le délai de recours des tiers n’est pas expiré au 12 mars 2020

Dans ce cas, le délai de recours est censé être suspendu jusqu’au 24 mai 2020, date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (cf. art. 4 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19). A cette date, le délai doit recommencer à courir pour la durée restante – cette durée ne pouvant dans tous les cas pas être inférieure à 7 jours. Autrement dit, le délai doit expirer au plus tôt le 31 mai 2020.

Hypothèse 2 : le délai de recours des tiers qui auraient dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et le 24 mai 2020

Dans cette hypothèse, le point de départ du délai de recours est reporté au 24 mai 2020.

Toutefois, compte-tenu des exigences particulières en matière de délai de recours des tiers, ces adaptations ne sont pas sans soulever des difficultés pratiques.

III. Incertitudes liées à l’adaptation des délais de recours des tiers

Les dispositions de l’article 12 bis de l’ordonnance n°2020-306 soulèvent deux difficultés.

D’une part, les règles de suspension et de report s’avèrent difficiles à articuler avec le calcul du délai de recours des tiers, compte-tenu des mesures de confinement imposées par le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 et renouvelées depuis (1).

D’autre part, la mise en place de mesures exceptionnelles impliquent une adaptation de la mention des voies et délais de recours sur le panneau d’affichage (2).

1.- Articulation délicate entre l’article R.600-2 et l’article 12bis de l’ordonnance n°2020-306

La première difficulté tient à l’articulation de l’article R.600-2, lequel exige un affichage accessible au public pendant une période continue de 2 mois, avec l’accès limité à l’espace public pendant le confinement.

En effet, en période de confinement – nous le vivons tous très concrètement – l’accès à l’espace public est considérablement restreint. Il n’est donc pas impossible que le juge administratif considère, à l’occasion des contentieux qui ne manqueront pas d’intervenir, que l’affichage d’une autorisation d’urbanisme pendant la période de confinement est insusceptible de déclencher le délai de recours des tiers, faute pour le public d’avoir pu accéder aux informations imposées par le code de l’urbanisme.

Dans ce cas, seules les périodes d’affichage de 2 mois intervenues avant le 17 mars midi ou après le 11 mai – ou à une date ultérieure si le confinement devait être maintenu – pourraient être considérées comme suffisamment accessibles au public, continues et donc régulières, et partant de nature à faire courir le délai de recours des tiers.

Cette situation doit nous inciter à traiter avec attention les affichages qui empiéteraient sur la période de confinement.

Reprenons nos deux hypothèses précédentes, découlant des dispositions de l’article 12 bis précitées.

Hypothèse 1 : le délai de recours des tiers n’était pas expiré au 12 mars 2020

La première hypothèse vise celle dans laquelle le recours des tiers n’est pas purgé au 12 mars 2020, faute pour le pétitionnaire d’avoir affiché avant le 12 janvier les informations exigées par le code.

Il convient de distinguer :

  • les autorisations d’urbanisme dont l’affichage a commencé entre le 12 et le 16 janvier 2020 et pour lesquelles la période continue de 2 mois était écoulée avant la mise en place du confinement ;
  • les autorisations d’urbanisme dont l’affichage a commencé entre le 17 janvier 2020 et le 11 mars 2020 pour lesquelles la période continue de 2 mois n’était écoulée avant la mise en place du confinement.
Sous-hypothèse 1 : premier jour d’affichage entre le 12 et le 16 janvier 2020

Dans notre première sous-hypothèse, le délai de recours des tiers n’a pas expiré au 12 mars et se trouve être suspendu jusqu’au 23 mai minuit ; son cours reprendra pour le délai restant à partir du 24 mai à 0 heure – date à laquelle l’état d’urgence sanitaire cesse selon les termes de la circulaire du 17 avril 2020 (NOR : JUSC2009856C).

Compte-tenu des dispositions de l’ordonnance n°2020-306, il expirera alors 7 jours après, soit le 31 mai 2020 minuit.

L’affichage ayant pu être réalisé pendant une période continue de deux mois et antérieurement au confinement, il y a lieu de penser que le recours des tiers aura été déclenché au premier jour de l’affichage.

Par sécurité, on ne peut recommander de faire constater l’affichage du permis jusqu’au terme du délai de recours ainsi suspendu (le 31 mai minuit), voire pendant la période de confinement.

Sous-hypothèse 2 : premier jour d’affichage entre le 17 et le 11 mars 2020

En revanche, la prudence est de mise s’agissant d’un affichage réalisé à compter du 17 janvier 2020. En effet, dès lors que l’accès à l’espace public a été considérablement restreint à compter du 17 mars 2020, il n’est pas certain que la période d’affichage soit considérée comme continue et de nature à informer suffisamment les tiers.

Pour éviter tout risque de contestation de la régularité de l’affichage, il est recommandé de le conserver – et de le faire constater selon les usages – pendant toute la durée du confinement et de le prolonger pendant 2 mois après la fin du confinement. Le délai de recours des tiers pourrait alors n’expirer que deux mois après le déconfinement – soit le 12 juillet 2020 au plus tôt (voire plus tard si le confinement devait être prorogé).

Hypothèse 2 : le délai de recours des tiers qui aurait dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et le 24 mai 2020

Telle est la situation des permis délivrés et qui auraient pu être ou qui ont été affichés pendant ou après la période de confinement – entre le 17 mars midi et le 23 mai.

Cette hypothèse ne pose pas de difficulté particulière d’interprétation : le délai de recours des tiers ne commencera à courir que le 24 mai 2020, et l’affichage devra être réalisé et constaté pendant une période continue de deux mois à compter du 24 mai jusqu’au 25 juillet a minima­ ­­ – tout affichage antérieur au 24 mai étant dépourvu d’utilité pratique.

2.- Une adaptation nécessaire de la mention des délais de recours

Comme cela a été rappelé plus haut, l’article A. 424-17 impose notamment la mention du délai de recours mentionné à l’article R.300-2.

Cette formalité conditionne le bon déclenchement du délai de recours, comme l’a confirmé le Conseil d’Etat dans sa décision du 1er juillet 2010 (n°330702).

En effet, le délai de recours contentieux ne court pas à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme dont l’affichage ne comporte pas expressément cette mention :

« Considérant que l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’article 12 du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme, dispose que : « Le délai de recours contentieux à l’encontre (…) d’un permis de construire (…) court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 » ; que l’article R. 424-15 du même code dispose que : « Mention du permis (…) doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l’arrêté (…) et pendant toute la durée du chantier. (…) / Un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme règle le contenu et les formes de l’affichage » ; que l’article A. 424-17 du même code dispose que : « Le panneau d’affichage comprend la mention suivante :/ Droit de recours :/ Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code l’urbanisme) (…) » ; que cette mention relative au droit de recours est un élément indispensable pour permettre aux tiers de préserver leurs droits ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le panneau d’affichage du permis de construire litigieux, mis en place le 31 juillet 2008, ne comportait pas la mention prévue par l’article A. 424-17 du code de l’urbanisme mais uniquement la mention « tout recours doit être exercé dans le délai fixé par l’article R. 490-7 du code de l’urbanisme » ; qu’en jugeant que cette circonstance n’était pas de nature à faire obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux à l’égard du requérant, alors que l’article R. 490-7, qui n’était alors plus en vigueur, fixait de façon différente le point de départ du délai de recours contentieux, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que, dès lors le CENTRE HOSPITALIER DE MENTON – LA PALMOSA est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ; »

Malgré l’absence de modification de l’article A 424-17 par les ordonnances relatives à l’état d’urgence sanitaire, il y a tout lieu de penser qu’une information erronée sur les délais de recours pourrait être de nature à interdire le déclenchement du délai dont bénéficient les tiers – en particulier dans l’hypothèse 1 mentionnée ci-avant.

On doit alors recommander d’adapter la mention du délai de recours en visant, en sus de l’article R.600-2 du code de l’urbanisme, l’article 12 bis de l’ordonnance n°2020-306 pour tout affichage qui serait réalisé entre le 12 mars et le 24 mai 2020.

En conclusion, il convient d’être particulièrement vigilant dans l’application des mesures exceptionnelles prises par le gouvernement en matière de délai de recours applicables à l’urbanisme, tant les implications en sont aujourd’hui incertaines.

Les difficultés d’articulation entre les dispositions de droit commun et les règles de suspension et de report des délais de recours des tiers contre une autorisation d’urbanisme invitent donc à prendre des mesures de prudence qui permettront seules de s’assurer de la purge des délais de recours des tiers.

Si le confinement devait être prolongé ou qu’un second confinement devait être décrété, cet exercice serait alors à renouveler…

CA et SLG, le 23/04/2020

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